1994 assassinat de Idrissa DIARRA en marge d’une soirée au Gibus

13 JUILLET 1994
MEURTRE DE IDRISSA DIARRA
PAR 7 JEUNES RACISTES
UN SOIR DE CONCERT AU GIBUS

Des racistes condamnés, mais ceux qui ont armé leur bras n’ont pas été jugés

Le 28 novembre dernier, une peine de prison de 12 ans a été prononcée contre les trois hommes qui avaient commis un crime raciste à Paris le 13 juillet 1994. Ce jour-là, un Malien de 42 ans, Idrissa Diara, dormait paisiblement sur un banc quand il a été lâchement agressé par un groupe de jeunes gens qui l’ont précipité dans le canal Saint-Martin, sachant pertinemment qu’il ne savait pas nager, ce que la victime criait. Au procès, un avocat de la défense a nié le contenu raciste de l’acte des assassins. Selon lui, ” ce n’était pas une chasse à l’homme mais une plaisanterie stupide, imbécile “. Un autre a protesté contre la présence au procès des organisations anti-racistes, Sos-Racisme, le MRAP et la LICRA, qui se sont portées parties civiles, déclarant : ” c’est parce que ces associations sont là que l’affaire a pris un caractère raciste “. Le fils de la victime, âgé de 12 ans, est venu dire au procès qu’il était fier de son père, ” il n’a assassiné personne, je n’ai pas de haine, je veux que justice soit faite “. Pour une fois, le caractère raciste de ce crime a été reconnu, malgré les dénégations des avocats des auteurs de l’agression. Les trois responsables, âgés de 21 à 24 ans, sont passés aux actes, délibérément.

Ils ont commis ce crime parce qu’ils se sont sentis encouragés par tous ceux qui, propageant le racisme et le nationalisme, arment le bras des plus faibles qui se sentent supérieurs du seul fait qu’ils sont ” nés quelque part “. La propagande chauvine, xénophobe, du Front national est relayée par celle des partis de droite qui défendent les mêmes préjugés moyenâgeux sur la ” chance d’être français “. Ces politiciens ne seront évidemment pas condamnés mais ce sont eux les responsables.

 


Jugement des cinq jeunes adultes accusés du meurtre d’Idrissa Diarra, un Malien de 42 ans (deux mineurs avaient déjà été jugés par le tribunal pour enfants de Paris). En juillet 1994, après un concert au Gibus, près de la place de la République (Paris), le groupe avait décidé de «se payer un Noir ou un Arabe», «la racaille HLM», de faire «une ratonnade». Rencontrant Idrissa Diarra, qui dormait sur un banc près du canal Saint-Martin, ils simulent un premier lancement à l’eau. Celui-ci explique qu’il ne sait pas nager. La seconde fois, l’homme est réellement jeté à l’eau… il y meurt noyé.

Douze ans de réclusion criminelle pour Chun Cheng, James Leclerc et Johann Tatard. Trois ans de prison avec sursis pour Stéphane Groise. Acquittement pour le dernier.


26 novembre 1997

Le destin brisé de deux des meurtriers d’Idrissa Diarra

Portraits de deux des cinq jeunes accusés d’avoir jeté un Malien, père de famille, dans les eaux du canal Saint-Martin, en juillet 1994. Une vie familiale brisée et une longue errance caractérisent le parcours de ces deux garçons plutôt immatures.

UN père trouvé mort un sabre dans le ventre. Une mère alcoolique qui vide le compte en banque de son fils avant de le virer lui-même. L’histoire familiale de Chun Cheng, vingt-deux ans aujourd’hui, et de son copain James Leclerc, d’un an son aîné, ne suffit pas à expliquer le meurtre qui les amène, depuis hier et jusqu’à vendredi, devant la cour d’assises de Paris, mais elle peut éclairer les raisons profondes d’un tel acte. Chun et James sont accusés d’avoir jeté à l’eau Idrissa Diarra, quarante-trois ans, la nuit du 12 au 13 juillet 1994. La victime, assoupie sur les rives du canal Saint-Martin à Paris, leur avait signifié qu’elle ne savait pas nager. Elle a coulé à pic. Les garçons, ainsi que cinq autres jeunes présents et soudés en bande, auraient voulu par ce geste «se faire un Noir ou un Arabe» à la sortie d’un concert, «se payer la racaille des cités HLM», selon leurs propres termes enregistrés par les enquêteurs au moment de leur arrestation, six mois plus tard.

Hier après midi, à travers une enquête de personnalité fouillée, la cour dont les neufs jurés qui la compose cherche à dessiner deux parcours. Celui de Chun, d’abord, enfant de famille chinoise immigrée, confié à sa grand-mère jusqu’à l’âge de quatre ans. Il retrouve ses parents ensuite, en banlieue parisienne. Des restaurateurs quasi invisibles, trop occupés par leur travail, par leur disputes aussi. Ils divorcent quand Chun a douze ans. L’enfant part chez son père. L’enfant… façon de parler, Chun collégien doit s’occuper de ses deux soeurs, un plein temps entre les cours. De sa voix atone, avec des mots guindés, le jeune homme à la figure ronde raconte par le menu ses journées d’alors: de lourdes responsabilités, une grande solitude.

https://www.humanite.fr/-/-/le-destin-brise-de-deux-des-meurtriers-didrissa-diarra

 


27 novembre 1997


https://www.liberation.fr/societe/1997/11/27/jeter-un-black-dans-l-eau-une-plaisanterie-quatre-jeunes-juges-pour-la-mort-d-un-homme-qu-ils-ont-po_220908/

Idrissa Diara avait 42 ans, son tort fut de dormir sur un banc.

Licencié un mois plus tôt de son emploi comme manutentionnaire dans le Sentier, Idrissa le Soninké était arrivé de Bougouni, au Mali, en 1975, et il se laissait aller. Depuis son divorce, en 1991, il habitait chez un ami, rentrait tard, «quelquefois ivre, mais toujours calme», dira son copain Amady. «Quand il a bu, il dort, ajoutera Amady. Il se couche par terre, ou sur un banc.»

Ce matin du 13 juillet 1994, Idrissa n’a pas bu, mais il dort. Le banc jouxte le canal Saint-Martin, à Paris. «Il avait une peur bleue de l’eau», dira Amady. Un peu plus tard, Idrissa y est, dans l’eau. Et au fond. Quand on le remonte, il va mourir. Noyé. Il laisse un fils, Amadou, 12 ans. L’agression est attribuée à «un groupe de skinheads». Six mois plus tard, une fille parle: son ex, James Leclerc, s’est vanté d’avoir «jeté un Black à l’eau». Puis un appel anonyme dénonce un certain Chun Cheng.

Deux mineurs. Depuis mardi, quatre garçons font face aux jurés de Paris, accusés d’homicide volontaire. Un cinquième est poursuivi pour non-assistance à personne en danger. Deux autres, mineurs, ont déjà été jugés. X, un lycéen qui avait 15 ans, qui parle d’une voix toute douce et joue le benêt ­ «Je fréquentais des racistes, mais c’était pas extrême du tout, c’était tout bête» ­, a été condamné à cinq ans de prison avec sursis par le tribunal pour enfants, pour meurtre. X passe pour celui qui a eu l’idée de «jeter le Black dans l’eau», mais il n’a pas fait un jour de prison. Y, lui, autre mineur, a pris un an avec sursis pour non-assistance.

Ils étaient sept, donc, ce soir-là, à pogoter au Gibus, une boîte proche de la République. Soirée hard rock. Le groupe s’est formé au hasard. Pour Idrissa, tous parlent d’un «accident», d’une «plaisanterie» qui a mal tourné. Pas l’intention de faire du mal. Juste rigoler un peu.

«L’erreur qu’on a faite, c’est de le prendre pour un jeune comme nous, avec lequel on s’amuse», dit Johann Tatard, cuistot, qui avait 18 ans. «C’était un être humain», reconnaît X. «A aucun moment, il n’a cru qu’on allait le jeter à l’eau, et nous non plus, c’est resté toujours sur le ton de la plaisanterie», affirme James Leclerc, qui avait 20 ans et huit tombes tatouées sur le bras droit.

Donc, un «accident». Chun Cheng avait 19 ans, il était mécanicien moto. Un an plus tôt, en 1993, Chun a trouvé son père à la cave, un couteau planté dans la tête, poignets, gorge et abdomen tranchés. Suicide ou meurtre? On ne sait. Chun a aussi eu, en 1994, un accident de moto où sa passagère a dû être amputée des deux jambes. Chun a tenté de se suicider en avril 1994. «Après le décès de mon père, je suis devenu quelqu’un de froid et très dur, dit-il. Aimer, ça fait mal.»

Détester, c’est plus facile. «Je ne suis pas raciste, parce que je n’ai jamais pensé qu’une race était supérieure à une autre, dit Chun. Mais je suis xénophobe. La xénophobie se ressent envers certaines catégories, par exemple, envers les jeunes des cités.»

Ce soir-là, au Gibus, après le concert, quelqu’un propose de sortir «se battre avec de la racaille, plus spécialement des Noirs et des Arabes». Qui a cette idée de «ratonnade à mort»? Personne ne se souvient. «Chun m’a demandé si j’en avais pas marre avec les étrangers qui agressent les gens», indique Johann Tatard. Chun réplique: «On sortait d’abord pour prendre l’air. Il faisait très chaud.» Les sept hardos traînent dans la ville, finissent par tomber sur le canal. Deux cinéastes tournent une scène où il s’agit de jeter des pierres dans l’eau. Quelqu’un, dans les sept, propose de jeter les cinéastes à l’eau, mais «pour rigoler». Puis ils avisent le «Black», sur le banc. Le réveillent. Idrissa est très poli. «S’il a été si sympathique avec nous, c’est qu’il devait avoir peur», analyse X. Donc, l’ambiance est bonne. Idrissa demande une cigarette. On lui donne. On rigole: «La cigarette du condamné.» Peut-être qu’Idrissa rigole aussi.

«J’étais jeune.» Qui a l’idée de le jeter? «Si c’est moi, c’était stupide. Mais j’étais jeune», dit X. Une première fois, on le saisit par les jambes et les bras, on simule de le projeter dans l’eau. Johann: «Il disait “arrêtez, c’est pas drôle.» Idrissa dit qu’il ne sait pas nager. On le rassied. On rigole encore. Certains ont un peu bu, personne n’est vraiment ivre. «Il a vu qu’on n’était pas agressifs», dit Johann.

On discute. «Chun m’a demandé si on devait se le faire, en représailles pour sa couleur, expliquera James. J’ai proposé de lui faire uniquement peur, parce qu’il était vieux.» C’est vrai qu’on est loin de la «racaille» et des «Zoulous» officiellement recherchés. «Le racisme n’existait plus à ce moment-là», jure X. Juste la blague. Ensuite? Johann raconte: «Le Noir a dit “je savais que vous alliez pas me jeter à l’eau. Le Chinois (Chun, ndlr) a pris ça comme un défi, lui a saisi la jambe, et tout le monde a suivi.» Idrissa est maintenant au-dessus du canal, on le balance. «Personne n’a dit “on le lâche», assure Johann. «Ça part avec l’élan, explique James. M. Diara a glissé des mains.» Idrissa ne pèse pourtant que 67 kilos. «Mais d’un seul coup, c’est devenu lourd», dit X.

Idrissa tombe-t-il dans l’eau tout de suite? Ou y a-t-il un dernier coup de pied pour l’envoyer valdinguer? Ça s’est dit. Mais devant les assises, les souvenirs se brouillent. Non, juste un «accident». Il y a même des marques au poignet d’Idrissa, glisse un avocat: ça montre que James a cherché à le retenir, non? De la berge, Johann lui tend bien la main, sans succès. «On lui disait “reviens», assure X. Mais Idrissa ne revient pas. Sacré blagueur. Tellement blagueur, d’ailleurs, que «dans un premier temps, les quatre (Chun, X, James et Johann, ndlr) ont ri», assure Nikola Kerkez Plavsic, l’un des sept accusés. «James et le Chinois nous ont demandé si on voulait recommencer, indique Johann. Mais ça suffisait.»

L’audience se poursuit aujourd’hui.

 


CHUN CHENG, Nikolas Kerkez, James Leclerc, Johann Tatard, accusés d’homicide volontaire pour avoir jeté un Malien dans le canal Saint-Martin, à Paris, dans la nuit du 12 au 13 juillet 1994, ainsi que Stéphane Groize, répondant de non-assistance à personne en danger, se sont tour à tour exprimés devant la cour d’assises de Paris. Un dernier mot avant le délibéré pour dire «leurs excuses», «leurs regrets», «tout le mal qu’ils ont causé» et qu’ils «ne souhaitaient pas». La partie civile et l’avocat général pointaient jeudi leur absence de remords. Ils ont hier demandé «pardon» à Amadou, fils de la victime, et à sa mère; ils ont nommé Idrissa Diarra, l’homme mort par leur faute. Agés de vingt-deux à vingt-cinq ans, habillés de gros pulls et coiffés d’une queue de cheval, les prévenus avaient l’air très jeunes à ce moment-là.

Chun Cheng, pour qui l’avocat général a réclamé la plus lourde peine, dénotait tout de même par sa tenue, mais aussi dans ses propos: «Je veux juste que la maman se souvienne de ce que j’ai dit à Amadou.» Le matin de cette journée consacrée à la défense et au délibéré, les deux avocats du jeune homme, Me Sossoh et Me Laurette, avaient évoqué son désir de voir Amadou accepter l’aide d’un psychothérapeute. «Je suis devenu un monstre le jour où j’ai tué son père», aurait dit Chun à l’un de ses conseils. La défense a d’ailleurs marqué la différence de Chun Cheng. «Il ne se plaint pas, ne se disculpe pas, il paye», estime Me Laurette, «car il ne s’estime pas le droit de se poser en victime». Ses origines asiatiques expliqueraient son sens aigu du déshonneur et de la honte, plaident ses avocats. Elles l’empêcheraient d’avoir voulu commettre un crime raciste, argumentent-ils encore. L’un des noeuds du procès réside dans le caractère raciste ou non de l’homicide. Il réside aussi dans le caractère volontaire ou non de l’acte. Les avocats de Chun, comme ceux des autres prévenus, ont soutenu qu’il n’y a pas eu intention de donner la mort.

https://www.humanite.fr/-/-/les-trois-meurtriers-didrissa-ecopent-de-12-ans-de-reclusion

 


Le procès de sept jeunes qui se sont «payé un Noir»

Le 13 juillet 1994, sept garçons jettent dans les eaux du canal Saint-Martin, à Paris, Idrissa Diarra, un Malien de quarante-trois ans. Cinq de ceux qui voulaient «casser la racaille des cités HLM» comparaissent aujourd’hui devant la cour d’assises de Paris.

 


Concert de hard-rock à la boîte de nuit le Gibus,
toute proche de la place de la République,
ce soir de juillet.
Sept jeunes, âgés de quinze à vingt ans,
en sortent vers 3 heures du matin,
avec l’envie de se battre, l’envie de «casser de la racaille des cités HLM»,
si possible «un Noir ou un Arabe»,
avoueront-ils six mois plus tard aux policiers de la brigade criminelle de Paris.
James, Stéphane, Chun et les autres errent dans le quartier du Gibus. Sur les quais du canal Saint-Martin, la bande accoste d’abord deux étudiants en cinéma filmant des pierres jetées dans l’eau.
La scène inspire leur macabre scénario.

Un Malien tiendra le rôle de la pierre.
Il se nomme Idrissa Diarra et somnole un peu plus loin sur un banc. Les hard-rockers réveillent l’homme un peu ivre, engagent la conversation, le chahutent et font mine de le jeter à l’eau. La victime indique qu’elle ne sait pas nager.
Le groupe le pousse, pour de bon cette fois, dans le canal.
Idrissa, quarante-trois ans, ouvrier en maroquinerie, un gars «un peu bohème» selon ses proches, coule à pic. Des témoins préviennent les secours mais en vain. L’homme décède à 9 heures du matin des suites de sa noyade.

 


les sept garçons accusés se renvoient la balle

http://www.humanite.fr/node/171469

 


  • Grégory Piat

https://www.discogs.com/fr/artist/604328-Gr%C3%A9gory-Piat

  • Mr Antaeus

https://www.discogs.com/fr/artist/1353149-Mr-Antaeus

  • Antaeus –Years After the Birth of the Weak

enregistré au printemps 1995

  • Antaeus – Supremacist Dawn

  • Tragos Adein

Secondary, 3 of 4

Secondary, 4 of 4

  • Le Lac Où Je Suis Mort

Principal

  • Belladonne (Fairy Voices) – CD compilation

https://i.discogs.com/DAYjhc2oveTO-_2M9ORPmqJTtFpRTlTu9uPJCYUCjL4/rs:fit/g:sm/q:90/h:352/w:350/czM6Ly9kaXNjb2dz/LWRhdGFiYXNlLWlt/YWdlcy9SLTE5NDE2/OC0xMTQ1OTY2OTEy/LmpwZWc.jpeg

 


Le Monde SAMEDI 14 JANVIER 1995

Des jeunes avouent le meurtre d’un Malien

La bande de sept ” hard rockers ” disait vouloir ” se payer un Noir ”

Cela aurait pu rester le mystère du canal Saint-Martin, la mort inexpliquée d’un homme jeté à l’eau par une bande d’assassins dont la trace aurait été à jamais perdue. Le 13 juillet 1994 à 3 heures du matin, un Noir avait été volontairement poussé dans ce canal du dixième arrondissement parisien. Mort par noyade. De rares témoins avaient observé la scène de loin : sept jeunes aux cheveux longs et à la panoplie de hard rocker – blousons noirs élimés avec des noms de groupes peints sur le cuir, vieux jeans délavés à l’eau de Javel et paire de rangers – avaient chahuté l’homme en faisant mine de le balancer à l’eau.

“Je ne sais pas nager “, avait-il crié. Après lui avoir offert une cigarette – “la dernière, celle du condamné “, avait ricané l’un des jeunes-, l’homme avait été jeté dans le canal. Il a coulé à pic. Sept inconnus pour un cadavre. Un maigre indice, dans l’une des poches du noyé : une carte orange, portant un nom à moitié effacé. La prestigieuse brigade criminelle avait été saisie du dossier. (Le Monde du l5 juillet 1994). Après six mois d’enquête, “la crim’ “a reconstitué le fait-divers et interpellé les sept suspects.

A LA SORTIE D’UN CONCERT

La petite bande avait passé la soirée au Gibus Rock Club, une boîte de nuit de la rue du Faubourg-du-Temple. Ce soir-là, l’ambiance était au “hard” : un groupe connu des seuls initiés avait déversé ses lourds décibels sur ses fidèles. A la sortie du concert, les sept fans avaient d’abord discuté avec des étudiants en cinéma qui, sur le quai de Valmy, filmaient des cailloux jetés dans l’eau. Un peu plus loin, le groupe – un collégien et deux lycéens, un maçon, un garçon de café, deux sans-profession, tous âgés de quinze à vingt ans- avait repéré l’homme assoupi.

Aux policiers qui les ont interrogés, les uns ont dit avoir voulu “faire une ratonnade et se payer un Noir ou un Arabe “. Les autres ont avoué vouloir “casser la racaille des cités HLM “. Ils se sont présentés comme des “hardos “, amateurs de rock dur, se croisant souvent dans des concerts ou devant le magasin Virgin Megastore des Champs-Elysées. Ces deux mineurs et cinq majeurs, tous Français, ne se connaissaient pas davantage. A part un mineur, qui s’est vaguement dit “nationaliste “, et une haine déclarée pour les “rappeurs”, ils n’ont pas donné aux enquêteurs l’impression d’être mus par une idéologie répertoriée. Des simples d’esprit “, commente un policier.

Diera Idrissa, un Malien de trente-cinq ans, en est mort. ” Un marginal en voie de clochardisation “, selon la police judiciaire. Une victime sans domicile fixe, qui se faisait héberger chez des amis. Dans la chaleur d’une nuit d’été, il avait décidé de dormir au bord dans l’eau d’un canal. Son identification été simple : le nom de la carte orange empruntée à un proche a permis de découvrir son identité.

Les ” hardos” ont été retrouvés grâce aux témoignages décrivant un jeune de type asiatique dans leurs rangs et à un renseignement décisif et anonyme parvenu in extremis aux enquêteurs. Les sept suspects ont été interpellés en cascade, du 9 au 11 janvier. Ils ont reconnu avoir poussé celui qui disait ne pas savoir nager, mais s’en renvoient la responsabilité. Quatre d’entre eux ont été écroués pour homicide volontaire par le juge d’instruction Olivier Deparis, jeudi 12 janvier, les trois autres restant en liberté sous contrôle judiciaire. Le Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (MRAP) s’est constitué partie civile dans la procédure. Erich Indyan

 


Nouvelle inspirée du meurtre :

Cette nouvelle est inspirée d’un fait réel qui s’est passé dans la nuit du 13 au 14 juillet 1994. Les criminels ont été retrouvés en janvier 1995. Nous vous invitons à lire l’article du journal Le Monde relatant l’événement. (14 janvier 1995)

14 Juillet !

Les deux jeunes lycéens avaient décidé de se retrouver au Gibus, une boîte de nuit branchée hard rock de la rue du Faubourg du Temple où ils avaient l’habitude d’assister à des concerts. Ce soir-là, l’ambiance n’était pas terrible et, comme leurs voisins, ils manifestaient leur mécontentement. Parmi ceux-ci, l’un d’entre eux, une véritable armoire à glace, se distinguait par sa violence et sa hargne.

C’était un de ces jeunes que tout le monde fuyait. Il n’était âgé que de vingt ans mais en paraissait vingt-cinq. Une stature imposante, des épaules larges, un buste bien développé, des muscles qu’il aimait faire jouer. “1,90 mètres, 80 kg.” comme il aimait à le préciser fièrement Des cheveux longs et sales, un regard si clair et si fixe qu’on l’aurait dit métallique, avec une petite cicatrice au coin de l’oeil gauche. Sur l’épaule droite, un scorpion, le dard dressé, tatoué.

Cette apparence physique, qui n’avait rien pour rassurer, était complétée par un blouson noir élimé, avec des noms de groupes de rock cousus dans le dos et des croix gammées dessinées sur les avant-bras. Un tee-shirt qui avait sûrement dû être blanc, de vieux jeans délavés à l’eau de Javel et des grosses rangers noires avec des semelles cloutées.

C’était un des habitués du Gibus Club Rock, où on aurait pu le trouver à toute heure du jour et de la nuit, si le Gibus avait été ouvert 24 heures sur 24. Avec quatre autres semblables, il avait fini par se constituer une petite bande qui, régulièrement, se donnait rendez-vous dans des boîtes qui ressemblaient, de loin comme de près, à des repères de malfrats. Ce soir-là, ils étaient venus, tous les cinq, assister à ce concert au Gibus, et, déçus, frustrés comme les deux lycéens qu’ils entraînèrent à leur suite, ils allaient en sortir avec la ferme intention de ” s’amuser ” ailleurs.

S’amuser…il y a bien longtemps qu’Idrissa ne savait plus ce que ces mots voulaient dire… Il venait de quitter ses amis qui l’avaient hébergé une semaine durant.

Cette nuit était si chaude qu’il décida de dormir sur les berges du canal Saint Martin après avoir fait une promenade dans le quartier. Il quitta donc la rue de La Pierre Levée et prit la rue de La Fontaine au Roi, son itinéraire des soirs d’été. Arrivé quai de Valmy, il fit encore quelques pas avant de s’étendre à même le sol après avoir roulé sa veste en guise d’oreiller.

La tête posée sur cet oreiller de fortune, Idrissa tomba dans un profond sommeil et il rêva à son pays, le Mali, qu’il avait quitté à 18 ans pour tenter sa chance à Paris. Lors de son départ pour la France, il avait laissé sa famille dans la misère. Ils habitaient des maisons de terre dans un petit village non loin de Gao. Bien souvent, il avait pensé à un éventuel retour au pays, mais l’argent lui faisait cruellement défaut.

Idrissa rêve. Il revoit son village, une femme allant chercher de l’eau au puits. Mais oui, c’est sa mère. Ses rêves sont confus. Il croit entendre le bruit caractéristique du fleuve Niger, mais en fait ce n’est que celui des pales charriant l’eau du canal.

Réveillé par une énorme péniche, il essaye vainement de se rendormir. Les souvenirs de son passé se bousculent dans sa tête. Pourquoi avait-il quitté son pays ? Il se revoyait jouant au foot avec les jeunes du village tandis que sa mère, au bord du fleuve, lavait le linge. Son père, lui, travaillait à Gao toute la journée. Le soir, il lui parlait de la France. Il lui en avait parlé si souvent comme d’un pays de rêve, d’un Eldorado, qu’il avait fini par y débarquer, par un bel après-midi de l’automne 1977.

Après leur soirée passée au Gibus Club, les sept jeunes ” hardos ” décidèrent de prendre l’air. Direction, La République où l’ambiance était peut-être plus “intéressante”. Mais, arrivés à hauteur du canal Saint-Martin, ils changèrent d’avis et décidèrent de longer le canal.

Ils rencontrèrent un groupe de jeunes avec une caméra. L’un des rockers leur demanda :

– Vous faites quoi là ?

– Un court métrage.

– C’est quoi ça ?

– Ben un film…, avança celui qui passait pour l’intellectuel de la bande.

– Ah oui ? Et ils sont où vos acteurs ?

– Il n’y a pas d’acteurs. Nous filmons la chute des cailloux pour un centre d’art et d’essai.

– Oh ! Les tocards ! Ils filment des cailloux et ils se prennent pour Spielberg ! Allez on se casse.

Ils partirent, mais après quelques mètres rencontrèrent Idrissa, toujours allongé par terre, et dormant paisiblement. Ils s’approchèrent et virent que l’homme était noir.

– Visez le négro, là !

– Vous pensez ce que je pense ?

– Ouais ! P’t-être qui fait des ronds dans l’eau, lui aussi ?

– Allez, on se le fait?

– Ouais… On se fume un bamboula !

La bande s’approcha de l’Africain et lui proposa une cigarette.

– Eh, mon pote, une cigarette, ça te branche ?

– Non,… merci, répondit Idrissa, d’une voix peu rassurée.

– Allez ! Fume ta cigarette ! On n’a pas que ça à faire !

– La dernière, celle du condamné….reprit un autre en ricanant.

– Fume ! Et après on va te fumer !

A ces mots Idrissa se dressa pour tenter de fuir, mais les sept rockers l’encerclaient.

Deux d’entre eux l’empoignèrent et le jetèrent dans le canal.

– Je ne sais pas nager ! cria Idrissa avant de toucher la surface de l’eau.

Celle-ci fut un instant troublée, puis elle redevint lisse et calme, comme si rien ne s’était passé.

Les 3°2 du Collège Georges Méliès.(Avril- Mai 1995)

Baroudi Sadok, Benamara Bouabdellah, Chaban Maher, El Mimouni Fahd, Fenniche Mohand, Ferron Virginie, Ferry Carole, Girbes Aliénor, Hamouche Mohand, Jan Patricia, Kamoun Laurent, Khamira Inès, Latif Laurent, Niang Lamine, Ouahabi Azdène, Sagroun David.

http://lilian.chevallier.pagesperso-orange.fr/Ecrits/14%20Juillet.htm

 


L’avocate générale Evelyne Lesueur a requis hier des peines de douze à quinze ans de réclusion contre trois jeunes gens accusés d’avoir noyé Idrissa Diara, un Malien de 42 ans, en le jetant dans le canal Saint-Martin à Paris, le 13 juillet 1994. Quinze ans de prison ont été requis contre Chun Cheng, 22 ans, treize contre James Leclerc, 23 ans, et douze contre Johann Tatard, 21 ans. Pour le quatrième accusé, Nikola Kerkez Plavsic, 22 ans, l’avocate générale a laissé la cour décider de son sort, car rien n’indique qu’il ait aidé à jeter à l’eau cet homme, dont le seul tort était d’être noir et de dormir sur un banc (Libération d’hier). Enfin, trois ans avec sursis ont été requis contre Stéphane Groise, 23 ans, poursuivi pour non-assistance à personne en danger. Verdict aujourd’hui.

 


La cour d’assises de Paris a condamné vendredi à des peines de 12 ans de réclusion criminelle Chun Cheng, James Leclerc et Johan Tatard. Ils étaient accusés d’avoir noyé un Malien, Idrissa Diarra, le 13 juillet 1994, en le jetant dans le canal Saint-Martin. Les jurés ont acquitté Nikolas Kerkez-Plavsic.